Face à la suprématie des instances politiques et des clichés raciaux, on l’ouvre ou on la boucle ?


Au cœur de cette pièce, se trouve, une question fondamentale : celle de l’Altérité. La difficulté de s’envisager au sens propre est prégnante. Le philosophe Emmanuel Levinas, revendiquait, de fait, la valeur éthique du visage, comme une épiphanie qui nous interdit de tuer. Le visage de l’étranger, sa couleur de peau ; sordides critères qui sont à l’origine des pages les plus noires de l’histoire. La discrimination est le fléau de notre société malade ; l’ « hypermodernité » ne fait qu’entretenir l’illusion d’une Europe réputée démocratique et progressiste, alors qu’elle ne cesse de mettre en place des « seuils de tolérance » combinés à diverses formes d'ostracisme xénophobe. Mihaela Michailov passe au crible les actes de violence, les dérapages de comportement et de discours, la haine de la différence, la peur de l’Autre. Voici un projet qui dessine une belle ligne d’horizon : l’avènement d’un théâtre de protestation, une sorte de théâtre d’agitprop du XXIème siècle : un théâtre critique, sans concession, politique et provocateur, issu du monde temporairement contemporain. Au sein d’une indifférence quasi-généralisée, voici une voix émergente qui tente de trouver un espace de résistance contre les mouvements intégristes, les propos haineux et la violence qui se déchaînent aujourd’hui. Pour défendre cette voix, on rêverait d’acteurs dont la rage serait immémoriale, autant que le désir ardent de construire un monde nouveau, un monde meilleur et plus heureux, un monde d’amants, un territoire de la vie au sens plein, susceptible d’accroître nos humanités. Une réponse stridente aux obscurantismes. La radicalité de la forme épouse la force du propos. De facture post-dramatique, la pièce se construit sur un agencement plurivoce où la structure dramaturgique est un entrelacs qui mêle récit, scènes dialogiques et chorales, monologues. Cette construction rappelle celle d’un site internet avec ses multiples ramifications, bifurcations, connexions : Cherche mon pays sur google ! est donc une sorte d’hypertexte théâtral. Sans fable, sans intrigue à proprement parler, nous avons affaire à une forme déstructurée proche du cut-up. L’écriture du fragment ne prend sens que dans sa totalité. L’originalité du geste tient aussi du jeu de correspondances avec la structure du Complexe Roumanie, l’auteure poursuit, en effet, sa poétique des « clips » dramatiques. A l’intérieur même des scènes nous trouvons des scènes superposées qui démultiplient les lieux et les temps. Notons également la qualité du travail sur le partage des voix à l’intérieur des monologues. Entre oralité brute de la rue, écriture en ritournelles, et poème dramatique, la langue est syncopée, plastique, musicale. Elle oscille entre une écriture directe, non-canonisée ; des répliques courtes et incisives, taillées dans un vocabulaire quotidien urbain, reflet de la société à laquelle les personnages appartiennent et à la mondialisation qu’ils subissent de plein fouet ; et des tournures enfantines, extirpées d’une enfance claudicante. Le rythme est soutenu. Pour ce qui est du volet thématique, comme toujours dans sa dramaturgie, les motifs abordés tiennent de l’actualité sociopolitique roumaine ou de son passé historique et de ses conséquences sur le présent. Un texte révélateur d’une dramaturgie fort prometteuse, d’une plume prolixe, et d’un style au devenir fécond. Loin d’être anecdotique, informatif ou événementiel, Cherche mon pays sur google ! rappelle avec force et justesse les origines mêmes de notre situation et notre responsabilité de citoyens européens. Car au-delà des frontières de la Roumanie, les mesures politiques européennes, notamment françaises, prises à l’égard des Roms, sont indignes et irrespectueuses des droits de l’homme.

 

Alexandra Lazarescou