« Il y a vingt-deux ans, j’ai parcouru deux mille kilomètres sur la route des orphelinats de Roumanie, triste héritage de l’ère Ceausescu.

 

J’étais venu pour filmer, comprendre, davantage que pour dénoncer.

J’avais assisté à l’abandon de Daniela par sa mère, une petite fille de quatre mois, au combat du docteur Titus, avec l’aide des ONG, pour améliorer le sort des orphelins, croisé le regard de la jeune doctoresse Tincu qui redoutait l’avenir.

 

Les images des orphelinats, des enfants abandonnées sont restées gravées dans ma mémoire. Je ne les ai jamais vraiment oubliées.

 

Aujourd’hui, la petite Daniela a vingt-deux ans, à la suite du reportage, elle a été adoptée. Malgré mon envie de voir ce qu’elle est devenue, je m’abstiens de la rechercher. Sa nouvelle vie ne regarde qu’elle et ses parents, mais que sont devenus tous les autres?

Comment le système organisé, voulu, de l’abandon, a-t-il été géré, réformé par la nation libérée de la dictature, qu’en reste-t-il, que sont devenus les handicapés, les enfants abandonnés depuis, les orphelinats délabrés, le docteur Titus qui luttait avec des moyens dérisoires, les ONG sont-elles encore là, et la doctoresse Tincu ?

 

Pour essayer de répondre à quelques-unes de ces questions, je roule à nouveau en direction du nord de la Roumanie vers le château délabré de Botoşani qui servait d’orphelinat.

Sur la route d’une Roumanie que je ne reconnais pas toujours, je ne peux pas m’empêcher de penser aussi à ce que ces vingt-deux années ont fait de moi.

 

Emprunte-t-on deux fois la même route ? » Jean-Jacques Beineix